Jaime Fernández Rodríguez (1914-1998), compagnon de lutte de G. Munis
Par lucien 18 avril1911-4 février 1989
Né en 1914 à El Ferrol (Galice), Jaime Fernández Rodríguez fut le plus proche compagnon de lutte de G.
Munis. Connu sous les pseudonymes de « J. Costa », « Santiago Rodríguez », il fut un membre du POUM et des bolcheviks-léninistes espagnols dans les années trente. Après
avoir rompu avec la IVe Internationale en 1948, il fut l’un des créateurs du Fomento Obrero revolucionario (Ferment Ouvrier Révolutionnaire) ou FOR, avec Munis et Benjamin Péret, organisation qui défendit les positions révolutionnaires du véritable
communisme.
En 1954, G. Munis à droite et son compagnon, Jaime Fernandez, sont détenus au Pénitencier El Dueso en Cantabrie Espagne
Jaime Fernández Rodríguez naquit à El Ferrol le 24 Septembre 1914 dans une famille de commerçants aisés et très catholiques (cousin germain du militant poumiste Eugenio
Fernández Granell, connu également comme peintre surréaliste). Tout jeune, enfant peut-on dire, il constate et ressent l’injustice sociale contre laquelle il
s’insurgera jusqu’à la fin de sa vie. Un tragique événement marquera très profondément sa vie. La mort, à l’âge de 16 ans de son petit frère Eulogio, qui s’engagea dans les
milices alors qu’il n’en avait pas encore le droit, et qui disparu au front de Madrid (octobre-novembre 1936). L’engagement politique de Jaime a lieu très tôt, comme
pour beaucoup alors en Espagne et dans d’autres pays. Prestige de la Révolution Russe aidant, il adhère au PCE de la Coruña, mais très vite il déchante à la lecture des textes de révolutionnaires
qui critiquent la dégénérescence de cette révolution. Il rentrera donc à la Izquierda Comunista d’España (ICE) en 1933 à Madrid, où il travailla dans des Grands Magasins (Almacenes Simeón).
En 1935, il vota en faveur de la fusion avec le Bloc Obrer i Camperol (BOC) pour constituer le Partido Obrero de Unificación
Marxista (POUM). Alors qu’il se trouve en train de réaliser le service militaire obligatoire au célèbre Alcazar de Toledo, éclate la guerre civile. Il s’évade au mois d’août 1936, en sautant,
avec cinq autres personnes, la muraille de cette grande forteresse, pour aller rejoindre le camp républicain. Pour sa part, ce qu’il veut rejoindre, c’est le camp de la révolution sociale.
L’évasion réussie, il informe sur la situation interne et sur le moral des troupes restées à l’intérieur de la forteresse. La réalité décrite par Jaime est à l’opposé de ce que raconta par la
suite le franquisme victorieux. Il s´engagea dans les milices de POUM de Madrid. Il fut élu chef de bataillon.
Jaime critiqua la tactique du Comité Exécutif du POUM et constata sa coïncidence avec les positions politiques de Munis. Il fit partie de la Sección Bolchevique-leninista d’Espagne (SBLE) en même
temps qu’il continua à militer au sein du POUM. A Barcelone, il intervint dans les luttes sur les barricades pendant les Journées de Mai 37. Avec Julio Cid Gaitán et d’autres militants, présents
à Barcelone pour participer au Congrès du POUM, il distribua le tract de la SBLE sur les barricades, qui défendait la continuité de la lutte, exigeait le châtiment des provocateurs et donnait des
consignes pour la consolidation d’un front révolutionnaire du prolétariat.
Le 16 Juin 1937, le gouvernement de Negrin, dominé par les staliniens, arrêta le CE du POUM, qui fut mis dans l’illégalité. Jaime Fernandez fut arrêté le 2 septembre 1937 parce que milicien du
POUM. Il fut emprisonné pendant cinq mois, d’abord à la prison Modelo de Barcelone et ensuite à Rosas de Llobregat (aujourd’hui Sant Feliu). Il sortit de prison le 7 Février 1938, et seulement
cinq jours plus tard, le 12, il fut arrêté de nouveau avec la majorité des militants de la SBLE, sous l’accusation d’assassinat du capitaine des Brigades Internationales Leon Narwicz, de
nationalité polonaise, agent du Service d’Information Militaire (SIM) infiltré dans le POUM et dans la SBLE. Un groupe d’action du POUM assassina Narwicz (voir biographie d´Albert Masó) de trois balles dans la tête, comme vengeance à l’assassinat de Nin. Mais le POUM ne
fit rien pour décharger les militants de la SBLE d’une accusation d’assassinat qu’il savait fausse et qui impliquait la peine de mort.
Jaime Fernandez endura pendant un mois, avec G. Munis, Domenico Sedrán (« Adolfo Carlini »), Aaage Kielso, Luigi Zanon, Vitor Ondik et Teodoro Sanz les tortures des agents du SIM et de
la police stalinienne dirigée par le Commissaire Javier Méndez et contrôlé par « l’oeil de Moscou », Julián Grimau. Le 11 Mars 1938 ils furent emprisonnés à la Prison Modelo de
Barcelone. Le Juge d’Instruction demanda la peine de mort pour Jaime Fernández, « G. Munis » et « Adolfo Carlini ». Le 23 Avril 1938, Jaime Fernandez et Teodoro Sanz furent
conduits dans des camps de travail. Jaime Fernandez fut interné à Omells de Na Gaia, avec « Quique » et Teodoro Sanz, où il connut les conditions d’un camp d’extermination stalinien du
SIM, dirigé par les criminels Astorga et Mendoza. Ensuite il fut destiné au camp de travail du détachement de prisonniers du SIM de la plage de « La Pelosa », à Rosas (Alt Empordà,
province de Gérone). Le 23 Août, réclamé pour être jugé pour l’assassinat de Narwicz, il fut envoyé par erreur aux tribunaux de Gérone au lieu de ceux de Barcelone. Le 5 Septembre 1938, il
obtient l’autorisation de s’enrôler dans une unité militaire (la Division 45), dans laquelle il vécut sous la surveillance constante de gardiens staliniens. Il réussit à s’évader en Octobre 1938,
lors de son hospitalisation soigné pour une blessure par balle à la jambe lors d’une action au front.
Plus tard, à Paris, un dirigeant du POUM qui l’aperçut au front à cette époque, lui affirma qu’ordre avait été donné de le fusiller. La blessure à la jambe, plus spectaculaire que grave, lui
sauva donc la vie. Comme bien d’autres, il passe en France où il sera accueilli dans les camps pour réfugiés. Il s’en évade dès qu’il le peut, c’est-à-dire assez rapidement. Une fois
libre, il renoue son activité militante dans le mouvement trotskiste, tout en travaillant comme ouvrier dans plusieurs régions françaises, sous des noms d’emprunt. Pris par la police française, à
Paris, celle-ci l’oblige à choisir entre la Légion étrangère, le maquis ou la prison. Son choix fut clair, la prison. Il connut donc, la Santé et Fresne. Fidèle aux positions internationalistes
il arriva à convaincre divers camarades espagnols socialistes et anarchistes, parmi lesquels nous pouvons citer Manuel Parada (des jeunesses socialistes), Tomás Ballesta (cenetiste qui appartint
à la colonne de Durruti), Jorge Soteras (militant de la CNT) et Félix Castellar, pour constituer à Angers un groupe, aux forces très réduites, qui lança des tracts qui défendaient le défaitisme
révolutionnaire et la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile révolutionnaire. Il se situa donc en marge et contre la tactique impulsée par la IV Internationale qui défendait la
participation dans les mouvements de résistance nationale au fascisme. Cette activité de Jaime Fernandez en France coïncidait pleinement avec les thèses de Munis, défendues par le Groupe Espagnol
de la IV Internationale au Mexique, sans qu’à ce moment-là il y ait eu contact entre eux. Pour Jaime, la deuxième guerre mondiale est une guerre impérialiste qui ne conçoit le prolétariat, la
classe exploitée que comme chair à canon, celui-ci doit donc s’y opposer en imposant ses propres intérêts, ceux consistant à en finir avec toute exploitation, avec toutes les frontières
nationales, avec l’Etat capitaliste, que celui-ci se dise démocratique, fasciste ou autrement.
Le Groupe Bolchevique-Leninista Español (Section espagnole de la IV Internationale) édita en France six numéros de « Comunismo » de Novembre 1943 à Septembre 1945.
Après la Libération, Jaime Fernandez avec d’autres militants trotskistes espagnols, anciens et nouveaux, comme José Quesada Suárez, Esteban Bilbao, Miguel Olmeda, Agustín Rodriguez Arroyo ( frère
du militant du POUM « Quique ») etc…, constituèrent avec G. Munis, et le poète surréaliste français Benjamin Péret, dirigeants du groupe Espagnol au Mexique, une nouvelle organisation
qui s’appela Grupo Comunista Internacionalista (GCI). Le GCI entama un débat au sein de la IV qui devait inévitablement mener à la rupture. Le débat, mené par G. Munis, Péret et Natalia Sedova
Trotsky, reconsidérait la nature de l’État Russe, critiquait la participation aux résistances nationales (abandon de l’internationalisme prolétarien) et critiquait la tactique d’alliances avec
des organisations staliniennes.
De Janvier 1945 (une fois rétabli le contact entre les camarades de France et du Mexique) jusqu’à Février 1948 ont paru dix-sept numéro de « Lucha de Clases », comme organe du Grupo
Comunista Internacionalista et ensuite comme organe de la section espagnole de la IV Internationale.
En 1946, Jaime Fernandez retourne une première fois en Espagne en tant que militant trotskiste (bien que déjà très critique). Il y restera peu de temps car on le préviendra que la police
franquiste est à ses trousses. Il repartira donc pour la France. Il fut l’un des signataires du document « Explicación y llamamiento a los militantes y secciones de la Cuarta
Internacional », qui en 1948 confirmait la rupture du GCI avec la IV Internationale.
Le GCI s’unit à d’autres militants internationalistes pour constituer en hiver 1948 une éphémère Union Ouvrière Internationale, dans laquelle participait également un petit noyau vietnamien. Le
groupe comptait une cinquantaine de militants tant à Paris qu’en province: G. Munis, Benjamin Péret, Jaime Fernández, Paco Gómez, Sonia Gontarbert, Sophie Moen, Edgar Petsch, Agustín Rodríguez,
Maximilien Rubel, etc… Il publia un bulletin ronéotypé, « La Bataille internationale ».
Le 11 Décembre de 1952, Munis est détenu à Madrid, et quelques jours plus tard Jaime Fernandez le sera à Barcelone en compagnie de jeunes contacts, Pedro Blanco Perez et Miguel Pila Penago
(« Cholo »), en conséquence de la participation du groupe à la grève des Tramways de Barcelone du mois de mars 1951. En novembre 1953, les trois détenus à Barcelone, Jaime Fernández,
Pedro Blanco et Miguel Pila, furent transférés à la Prison Provincial de Madrid pour être jugés par le Tribunal Militaire de la Première Région, en même temps que Munis et les autres membres du
groupe. Jaime Fernandez fut condamné à huit ans de prison, et rentra au pénitentier de Santoña pour y accomplir sa peine. Il sortit de prison, en liberté conditionnelle, en mai 1956. Ne trouvant
pas de travail à cause de son casier judiciaire en Espagne, il se voit contraint de repartir pour la France en Octobre 1959. En Espagne d’abord, puis ensuite à Paris, il défend les positions du
groupe Fomento Obrero revolucionario qui édite la revue « Alarma » depuis le mois de Décembre 1958, groupe dont il est un des initiateurs avec ses amis et camarades Benjamin Péret et
G.Munis (sorti de la prison franquiste en 1957 et vivant alors à Paris).
En mai 1968, ouvrier aux NMPP (Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne), Jaime Fernandez anime dans cette entreprise aux mains de la CGT (plus forte que le patronat), un comité
ouvrier sur une base antisyndicale, prônant l’auto-organisation du prolétariat et dénonçant les syndicats comme des organisations de défense du capitalisme. Il y travailla jusqu’à la retraite
qu’il anticipa lui-même à l’âge de 63 ans pour pouvoir goûter aux joies du « Droit à la Paresse » de Paul Lafargue, texte qu’il fit connaître le plus possible en milieu ouvrier.
Il fut très actif en Espagne plus particulièrement au moment où se préparait la « transition démocratique ». Il voyagea souvent de Paris à Barcelone pour participer aux nombreuses
assemblées et réunions ouvrières anticapitalistes très nombreuses à cette époque, toujours pour dénoncer et combattre les forces politiques qu’il considérait ennemies de la classe ouvrière (PC,
PS principalement) et les syndicats ; pour combattre les illusions que beaucoup se faisaient sur la démocratie après tant d’années de dictature. Pour lui, le prolétariat avait potentiellement
assez de force pour en finir avec la véritable dictature, celle du capital sur le travail, que celle-ci revête la forme démocratique, militariste, bureaucratique, fasciste ou autre, d’autant
qu’il pensait que le capitalisme avait créé au niveau mondial, grâce à la misère et à l’exploitation du prolétariat, plus que les conditions objectives matérielles suffisantes pour que le
prolétariat le détruise de fond en comble et impose la société sans classes et sans frontières. Jaime Fernandez s’installa définitivement à Barcelone en 1988, après avoir rompu avec le FOR sur
une question d’organisation. Même s’il ne put continuer à militer comme il le fit durant toute sa vie à cause de problèmes de santé (la vue principalement), il appuya constamment les ex militants
du FOR (deux expulsés et d’autres ayant rompu) qui éditèrent la revue « L’Esclave Salarié »en France et en Espagne.
Jaime Fernandez est mort en juillet 1998, à Barcelone, sans avoir pu vivre ce pour quoi il a tant lutté: l’avènement d’une société sans maîtres ni esclaves, sans Etat, sans police, sans
armée, sans travail salarié.
Eulogio Fernández et Agustín Guillamón
SOURCES:
- Articles et documents :
1. « El camarada Jaime Fernández logra escapar del Alcázar toledano », POUM, Madrid (28-8-1936).
2. « Sumari n° 94, 10 de marzo 1938. Jutjat Especial n° 1 del Tribunal d’Espionatge i Alta Triació de Catalunya. Per Alta traición por complot, propaganda y asesinato del capitán León
Narwitsch. Contra Manuel Fernández Grandizo, Adolfo Carlini Roca, Aege Kielso, Jaime Fernández Rodríguez, Luís Zanon Grim, Teodoro Sanz Hernández, Víctor Ondik, Baldomero Palau Millán. »
Archivo Histórico Nacional, Madrid.
3. (Anonyme) « Jaime, 1914-1998. Ta lutte continue! », L’Esclave salarié n° 5 (1998), Barcelone.
4. Agustín Guillamón (Dir.): Documentación historica del trotsquismo español (1936-1948). De la guerra civil a la ruptura con la Cuarta Internacional. Ediciones de la Torre, Madrid, 1996.
(Textes choisis de Munis et de son courant, de 1936 à 1950).
5. Guy Prévan: Benjamin Péret, révolutionnaire permanent. Editions Syllepse, Paris, 1999.
-
Œuvres:
(Articles de Jaime Fernández Rodriguez, sous le nom de plume de “J. Costa”)
« La represión stalinista », Revolución. Boletín de la Sección Española de la IV Internacional, n° 1. [Paris], (1948).
« Lo que dice Costa ». Boletín de discusión nº 26 del Grupo comunista internacionalista, Paris, febrero 1949.
« Tarea y responsabilidad de los revolucionarios », Alarma, 3ª série, n° 1. [Barcelone], (avril 1977).
« Violencia revolucionaria », Alarma n° 2 (agosto 1977)
« Trampa nacional », Alarma n° 4 (printemps 1978).
« Como los buitres », Alarma n° 5 (été 1978).
« Democracia y lucha de clases », Alarma n° 6 (automne-hiver 1978).
« Stalinismo, anti-stalinismo », Alarma n° 13 (mai 1982).