Les moyens d'information nous parlent
périodiquement des progrès sociaux qui nous seraient, parait-il, régulièrement octroyés par un capitalisme en perpétuel développement. A l'appui de cette affirmation ils peuvent citer par
exemple, congés payés, et pour être plus d'actualité, la semaine de 35h le remboursement de l'IVG , la retraite à 6X ans... et aussi le fait que
le prolétariat, dans sa grande majorité, possède voitures, réfrigérateurs, cuisinières électriques, douches, parfois même, machine à laver. C'est ça le progrès affirment-ils.
A partir de là, certains en déduisent
que le prolétariat est intégré par cette société en progrès permanent, et que donc la révolution est actuellement impossible. Pour qu'elle revienne à l'ordre du jour, il faudrait que le
prolétariat soit en grande partie au chômage (sa passivité actuelle serait peut-être due à un chômage non encore suffisant? qu'il ne puisse plus subvenir complètement à ses besoins nutritifs, ne
puisse plus posséder ni voitures, ni machines à laver, ni lave vaisselle électrique ... alors là, enfin dans la misère noire le prolétariat ne sera plus intégré ( en réalité dans une telle
situation, n'étant plus uni sur le lieu de production, il se désintègre en tant que classe productive), et pourra enfin faire la révolution.
Bien, les faits cités à l'appui de ces
positions sont irréfutables. Cependant, d'autres faits sont là, tout aussi irréfutables : utilisation des découvertes techniques non pas au service des travailleurs, mais contre eux, en
intensifiant rendement et productivité, et sans baisser les heures de manière correspondant aux possibilités techniques et humaines, en dépréciant la valeur de la force de travail, en rendant le
travail abrutissant, dénué d'intérêt. Qui plus est on peut remarquer un renforcement considérable de l'Etat, et donc de ses moyens de répression envers les franges prolétariennes qui osent lui
tenir tête (cf. Pologne) et dont certaines n'ont pas attendu la misère absolue pour cela. Voilà une série de faits qui amènerait à penser que cette société, loin d'être en perpétuel
développement, loin d'être progressive, est fondamentalement pourrie. N'oublions pas non plus que toute sa "richesse" entraine des milliers et des milliers de mort dans le monde. Mais définissons
ce qu'il faut entendre par société progressive, et par là même ce qu'il faut entendre par progrès social.
Le concept de progrès social ne peut
pas être défini dans l'absolu, sans faire référence à une société à l'intérieur de laquelle il s'insère, en effet son simple énoncé contient le terme social. Il s'en suit donc que des progrès
sociaux et historiques ne peuvent prendre naissance que dans une société qui elle même elle même est progressive. Cela nous amène donc à repréciser ce que les révolutionnaires doivent entendre
par société progressive. Nous avons bien écrit s ce que les révolutionnaires doivent entendre... et non pas s ce que les capitalistes doivent entendre ..., cela a une importance pour ce qui va
suivre. En effet pour la classe capitaliste le degré de positivité ou de négativité ne peut se mesurer que par le degré d'extraction et de réalisation de la plus-value, par le degré
d'accumulation du capital, et cela au vu de la place qu'elle occupe dans les rapports de production, place d'acheteurs de la force de travail, d'exploiteurs. Uh exploiteur voit la société (et la
fait voir) avec ses propres yeux, il accordera un critère positif à la société lorsque l'exploitation fonctionnera correctement, et négatif lorsque cette dernière sera passablement enrayée, que
ce soit par des facteurs strictement internes à la société elle-même du point de vue économique (cas de la crise de surproduction), ou autres, mouvement social...
Le prolétariat lui, vu la place qu'il
occupe dans les rapports de production, et donc les révolutionnaires ont un point de vue évidemment radicalement différent. Visant la destruction de toute société d'exploitation de l'homme et la
construction d'une société sans classes, humaine, ils n'accordent le critère de progressivité à une société de classe que lorsque celle-ci fait germer en son sein les conditions propres à son
dépassement révolutionnaire vers le communisme. Inversement une société devient décadente lorsqu'elle n'a plus de justification historique socialement, lorsqu'elle subsiste tout en ayant
développé, plus que suffisamment, les conditions propres à son anéantissement.
Jusque là, rien de contradictoire, la
vision que l'on a de la société dépend principalement de la place sociale occupée par l'individu, la classe. Ce qui serait contradictoire, par contre, serait d'être révolutionnaire, et d'avoir me
conception capitaliste de la progressivité et de la décadence du capitalisme ; c'est-à-dire la première des deux conceptions décrites. Les termes étant de nouveau définis, nous pouvons continuer.
Du point de
vue révolutionnaire le qualificatif
désignant la civilisation capitaliste ne peut être que décadence. En effet, cette société n'a plus de raison d'être historique. Plus qu'aucune des sociétés précédentes, elle a développé les
forces productives, elle a unifié le monde entier sous sa coupe,elle
a développé internationalement la
dernière classe de l'histoire, la classe qui peut enfin matériellement mettre à bas la division de la société en classes : le prolétariat. En cela elle fut progressive par rapport aux sociétés
précédentes, bien que réactionnaire par rapport au communisme. La réponse que donna le prolétariat à la 1ère guerre mondiale : vague révolutionnaire de 1917-37 fut la preuve tangible que le
communisme était là, à la porte de l'histoire. A partir de là, la survivance du capitalisme devenait sans raison d'être. Depuis lors la décadence s'est accentuée. Aujourd’hui, d'un moment à
l'autre, l'humanité peut passer des triomphes technologiques de l'ère atomique à la barbarie primitive d'une lutte désespérée pour sa propre survivance, contre les rudes forces de la nature,
animées et inanimées. Ainsi dans ce cas le communisme ne deviendrait qu'une simple utopie, ses bases objectives ayant été détruites. La décadence capitaliste est plus profonde que toutes celles
qui l'ont précédées dans l'histoire, car non seulement le capitalisme s'oppose à de nouveaux rapports de production progressifs mais sa survivance elle-même peut nier quelques dizaines de siècles
de développement social par le biais d'une guerre mondiale.
Du point de vue capitaliste, comme nous
l'avons dit, le degré de positivités ou de négativité dépend directement de la quantité de plus-value réalisée sur notre dos, de la "santé économique" du capitalisme. Pour cela, point n'est
besoin de se référer aux sociétés divisées en classes qui précédèrent le capitalisme, ni au communisme. L'évolution historique et son moteur î
la lutte de classe peuvent être
laissées de coté pour les tenants de l'économisme. L'histoire contient son propre développement historique, sinon elle
n'est pas Histoire, c'est ce que
beaucoup semblent oublier. Pour ceux-là le capitalisme peut ainsi être étudié à la loupe, c'est-à-dire que ses turbulences économiques sont plus que démesurément
grossies, de manière à ce que finalement, l'on ne comprenne plus rien à la direction, au développement historique, et/ou à leurs causes.
Ouvrons là une parenthèse: un physicien
du début du siècle du nom d'Heisenberg, mit au point un principe, le principe d'incertitude, selon lequel plus on possédait d'informations précises sur la place,sur
la situation exacte d'une particule en
mouvement, moins on pouvait en
déduire d'informations quant à son
mouvement, sa vitesse, sa direction, où elle allait, d'où elle venait. Le parallèle à faire dans ce cas entre
particules en mouvement et évolution
historique est flagrant. Refermons
cette parenthèse.
Le matérialisme historique s'opposait,
et s'oppose toujours, au
matérialisme bourgeois
principalement parce que ce dernier considérait l'être
uniquement comme être naturel ; quant à
liai, le matérialisme historique mettait en avant le fait que cet être naturel faisait partie d'une société, et en conséquence était être social, L'homme est principalement l'ensemble de toutes
ses sensations, de toutes les interactions qu'il a avec la société. De la même manière chaque société, chaque mode d'organisation du travail est le fruit des interactions avec la/les sociétés
précédentes et avec la/les sociétés dont les bases objectives seront créées par le développement historique. Elle n'a pas d'existence uniquement refermée en soi, autonome. Le matérialisme
bourgeois affirmait que le cerveau sécrète la pensée comme le foie la bile«, G® à quoi répondait le matérialisme pratique en disant que la pensée d'un homme donné est déterminée par la société
dans laquelle il vit et la classe à laquelle il appartient (cela ne niant pas la nature biologique du cerveau). De la mime manière aujourd'hui le matérialisme historique doit s'opposer aux
économistes à la noix de coco et autres qui expliquent le capitalisme par lui-même. Non le capitalisme ne s'explique par le capitalisme, sinon on ne comprendra rien à rien.
Il s'en suit comme corollaire direct
que tous ceux qui dans le milieu révolutionnaire identifient décadence sociale à : une crise économique, c'est-à-dire tous ceux qui identifient un concept ne dépendant pas des aléas de l'économie
capitaliste, mais dépendant de sa nature et de sa fonction historique, à un concept strictement interne au capitalisme, et dépendant de ses aléas, se fourvoient. Les idées dominantes dans une
société divisée en classes sont celles de la classe dominante. Estimer que le capitalisme n'a plus de raison d'être uniquement parcequ'il serait en crise économique définitive ou non, n'est que
l'image renversée, pour le prolétariat, d'une idée qui provient directement de la classe dominante, à savoir, encore une fois que, pour la caste capitaliste, la raison d'être de ce système est de
produire de la plus-value, lorsque ce n'est plus le cas, lorsque sa réalisation ¿«vient quasi impossible, cas de la crise de surproduction, il perd sa raison d'être. Les révolutionnaires qui sont
en extrême minorité en période de paix sociale, doivent avoir une méfiance certaine envers les idées dominantes, et se doivent de les étudier suffisamment. S'ils n'ont pas assimilé la décadence
sociale, la décadence sociale, elle, alors les assimile, et risque bien de leur faire adopter un concept d'essence capitaliste.
Enfin comme corollaire final, il
devient clair qu'une société en pleine putréfaction, comme celle que nous connaissons depuis le début de ce siècle, ne peut accorder un quelconque progrès social. A l'heure où est uniquement à
l'ordre du jour la révolution sociale, la fin de l'exploitation de 1'homme par l'homme, les congés payés ou autres "victoires ouvrières" ne sont alors que d'amères pilules. Quant à la science,
contrairement à ce que certains prétendent, elle n'est pas un facteur de progrès. Et cela n'est pas dû à de trop maigres investissements ou à de «mauvaises politiques". En fait la science ne peut
pas opérer de miracles, dans une société en décadence sa marche en avant est aussi un facteur de décadence. Aujourd'hui ses découvertes sont dûes en grande partie dans certains domaines, à des
recherches militaires, à des recherches sur la mort. Les connaissances et recherches sont respectivement détenues et développées par un nombre infime de spécialistes, le reste de la population
étant laissé dans la complète méconnaissance dans tous les domaines. La science est comme cette société sclérosée. Ses résultats ne sont ni pleinement divulgués ni utilisés pour servir
l'humanité. Dans certains domaines les dernières découvertes deviennent des secréts militaires divulgués non pas par des scientifiques mais par des espions. A l'heure où est enfin possible, vu le
niveau des forces productives, une société qui, par un travail commun, de tous ses membres, journalier assez court, permettra à tous ceux qui le voudront de se consacrer à
la recherche scientifique ou à ce qu'il
leur plaira, et donc à l'heure où sont possibles d'immenses progrès scientifiques réalisés par le plus grand nombre et pour tout le monde, à cette heure là, les découvertes scientifiques et
techniques actuelles apparaissent non seulement comme ayant souvent des retombées négatives mais aussi, lorsque ce n'est pas directement le cas comme relativement bien pauvre.
En conclusion, les avantages ou
"progrès" obtenus dans cette société décadente, lorsqu'ils existent, ne s'insèrent pas dans un progrès social et historique, au contraire dans le contexte historique, ils ne sont que des
simulacres de progrès, ils sont, comme cette société, misérables. Quant aux tenants de l'intégration du prolétariat, il nous suffira de leur rappeler que la contradiction fondamentale sur
laquelle survit le capitalisme, est la contradiction de classe : capital / travail. Nier cette contradiction, en intégrant le prolétariat, reviendrait à nier l'existence même du
capitalisme.